Sur un bateau, le rapport au temps n’est pas le même. Bercé par les flots, il suffit de quelques heures pour se sentir hors de son quotidien. Bienvenue sur La Belle de l’Adriatique, l’un des fleurons de la compagnie CroisiEurope. Lux discret et confort d’un grand hôtel (5ancres). Seuls 190 passagers ont accès à bord. Aux antipodes de La croisière s’amuse! Nous sommes prêts à appareiller pour huit jours de navigation, de Larnaca à Haïfa, à la découverte des deux États levantins de Chypre et d’Israël.
Une île aux multiples influences
Depuis l’invasion du nord de Chypre par l’armée turque en juillet 1974, Grecs et Turcs vivent séparés par une ligne de démarcation, la ligne verte. Ce qui fait de Nicosie la dernière capitale divisée du monde. Un statut que la douceur et la beauté de l’île rendent paradoxal. Agatha Christie et Lawrence Durrell venaient y goûter la douceur des hivers et la beauté du printemps comme Arthur Rimbaud, qui y séjourna. William Shakespeare situa les amours d’Othello et de Desdémone dans la citadelle de Famagouste. Mais celui qui viendrait à Chypre dans le seul but de marcher sur les traces des écrivains et des poètes qui l’ont évoquée serait vite rattrapé par le passé tumultueux de l’île.
Depuis des siècles, son emplacement stratégique fait sa prospérité… et son malheur. Des Assyriens aux Ottomans, en passant par les Romains, les Vénitiens et les Anglais, les occupants n’ont pas manqué, attirés par ce lieu d’où l’on contrôlait les routes commerciales et militaires. Même les Français furent de la partie: à la fin du XIIe siècle et pendant 300 ans, Chypre fut gouvernée par une dynastie poitevine, les Lusignan, à laquelle Richard Cœur de Lion avait confié cette terre conquise lors de la troisième croisade.
Aujourd’hui, la partie nord, autoproclamée République turque de Chypre du Nord, n’est reconnue que par la Turquie. Le Sud, membre de l’Union Européenne, est habité par des grecs orthodoxes et offre le visage souriant et insouciant des hauts lieux touristiques: petits ports encadrés de restaurants, villages et monastères perchés, eaux bleues et plages de sable… Tout les charmes de la Méditerranée.
Le bateau, au faible tirant d’eau, peut s’amarrer presque partout, permettant de partir facilement en excursion: Famagouste, bourg oriental endormi à l’ombre d’épaisses murailles ; le massif du Troodos, coiffé par le mont Olympe (1952 m) ; l’abbaye de Bellapais (la Belle Paix), bâtie par Guy de Lusignan sur les hauteurs de Kyrenia ; Nicosie, qui regorge de trésors.
Parmi ceux-ci, les remparts vénitiens et les ruelles sinueuses du vieux quartier de Laïki Geitonia, l’ancienne cathédrale Sainte-Sophie où les rois de Chypre étaient sacrés, le caravansérail de Büyük Han à l’architecture ottomane. L’ambiance y est british, avec conduite à gauche et terrains de cricket omniprésents – la république chypriote est en effet membre du Commonwealth. La nuit, à l’heure où la mosquée Lala Mustapha Pacha, jadis cathédrale Saint-Nichola, appelle à la prière, des centaines de lumignons multicolores s’allument à l’horizon de la ville grecque.
La ville trois fois sainte
Un peu plus de 400 kilomètres séparent Chypre d’Israël. Soit une quinzaine d’heures de navigation. Le temps de profiter du navire. Si toutes les cabines ont un hublot, la vie en plein air est privilégiée. On se surprend à se lever de bon matin pour monter sur le pont et regarder la mer. Cartes d’explorateurs, lampes de coursives et conférences donnent l’impression de tourner les pages d’un carnet de voyage. La table titille nos papilles par ses mets et ses vins. Le soir, un salon-bar appelle à la rêverie.
Demain, l’arrivée sur la Terre promise se fera par Haïfa. Israël est un lieu unique, à l’image de Jérusalem, cité trois fois sainte, pour les juifs, les musulmans et les chrétiens. Dans cette ville, éternelle et convoitée, l’histoire est partout, inscrite dans la pierre. Il suffit de se promener sur les remparts, édifiés par Soliman le Magnifique au XVIe siècle, pour en mesurer la richesse.
Au sortir d’une ruelle de la vieille ville, une vaste esplanade surgit. Un bourdonnement s’élève de la foule assemblée au pied d’un mur de pierres empilées sur une quinzaine de mètres de haut. C’est le Mur, celui des Lamentations. Il servit de soutènement au temple construit par Hérode il y a deux mille ans. On le touche, on le caresse, on pose sa joue sur la pierre blonde qui fait la lumière si particulière de la ville, on glisse des prières inscrites sur des bouts de papier entre ses interstices. Des siècles de larmes ont été versées par les juifs aspirant à reconstruire le Temple. On en vint à le nommer le Mur des Lamentations.
Au-dessus, c’est l’esplanade des Mosquées. Elle héberge les mosaïques bleues du Dôme du Rocher – d’où Mahomet s’éleva vers les cieux- et la mosquée al-Aqsa. La basilique du Saint-Sépulcre renferme le tombeau du Christ. Un souterrain empruntant le tracé d’un aqueduc du IIe siècle av. J.-C. débouche sur la Via Dolorosa, le chemin de croix que les chrétiens gravissent le Vendredi saint, une lourde croix de bois sur le dos. Le mont des Oliviers constitue un lieu symbolique pour les trois religions.
Le rocher d’Aphrodite
Israël est un théâtre vivant, avec comme toile de fond l’Ancien et le Nouveau Testament, et comme décors des lieux dont la puissance évocatrice ne peut être égalée: Nazareth, village de Galilée où Jésus passa ses trente premières années ; le lac de Tibériade, qui évoque la marche sur l’eau et la multiplication des pains ; Cana, où se déroulèrent des noces au cours desquelles Jésus accomplit son premier miracle ; Bethléem, o il vit le jour ; Massada, enfin site antique posé sur l’immense rocher surplombant la mer Morte qui servit de forteresse et où 960 juifs résistèrent à une légion romaine pendant quatre ans ( de 69 à 73 après J.-C.) avant de se donner la mort.
Après une nuit en mer, retour à Chypre, l’île natale d’Aphrodite, déesse de la beauté et de l’amour, chantée par Homère. Sur la route qui mène à Paphos, trois rochers sont posés dans la mer. C’est là que la belle sortit de l’écume laissée par un rocher jeté du haut de la montagne par un Titan. On continue notre chemin jusqu’à Paphos, capitale européenne de la culture en 20147 et aujourd’hui la première destination touristique chypriote. Une station balnéaire sans toute sa splendeur.*Consacrée dans l’Antiquité à Aphrodite, elle en garde des vestiges exceptionnels. Notamment des mosaïques dans un état de conversation rare, que l’on peut contempler dans quatre villas romaines: les maisons de Dionysos, de Thésée, d’Aion et d’Orphée.
Avant de retourner à Larnaca, les visiteurs en quête d’histoire et de mythologie termineront le périple par les Tombeaux des rois, édifiés à Paphos. Une nécropole creusée dans la roche, face à la mer, où les sépultures ne sont pas celles de rois mais de riches notables qui voulaient prolonger dans l’au-delà les fastes qui les entouraient de leur vivant.